Wednesday, 4 November 2009

Jeffrey D. Sachs: «Les Occidentaux ont été irresponsables à l’égard de la Russie»

File d’attente devant une boulangerie russe, à Moscou, en 1992: à l’époque, selon Jeffrey D. Sachs, l’Occident n’a pas voulu – ou pas pu – apporter l’aide massive qui aurait été nécessaire. Crédits photo : Le Temps

LE TEMPS: Le célèbre économiste Jeffrey D. Sachs justifie sa «thérapie de choc» pour créer un marché qui a, selon lui, fait ses preuves en Pologne. A l’inverse, la dérive russe est la démonstration, non d’une faillite des préceptes économiques mais de l’incurie politique

Son nom est indissociable des réformes économiques de l’ère post-soviétique. En 1990, Jeffrey D. Sachs, alors professeur à Harvard, conseille les autorités polonaises, puis Moscou de 1991 à 1993, ainsi que d’autres Etats de l’Europe de l’Est. Avec une fortune diverse et un héritage qui fait toujours débat. Connues sous le nom de «thérapie de choc» ou «big bang», ses recettes prônaient une rupture radicale – par opposition à une transition graduelle – avec l’économie planifiée pour embrasser l’économie de marché et ainsi arrimer l’Europe de l’Est à l’Europe occidentale. Privatisation, retrait de l’Etat, maîtrise de l’inflation, négociation de la dette, le célèbre économiste assume aujourd’hui son approche tout en se distanciant d’un courant ultralibéral auquel il avait été associé par ses détracteurs.

Après avoir piloté le projet Objectifs du millénaire des Nations unies lorsqu’il était le conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, Jeffrey D. Sachs est aujourd’hui directeur de l’Institut de la terre (Earth Institute) à l’Université Columbia de New York. Interview exclusive.

Le Temps: Vous avez été, après la chute du communisme, un des économistes les plus influents pour prôner une transition radicale vers une économie de marché. Avec le recul, referiez-vous la même chose?

Jeffrey D. Sachs: Je pense que c’était tout à fait justifié. La question était de savoir à quelle vitesse ouvrir le commerce, rendre les monnaies convertibles, en d’autres termes à quelle vitesse rejoindre l’économie de l’Europe de l’Ouest. La décision d’aller vite et de façon décisive s’est avérée correcte. Bien sûr, la transition a connu un chemin tortueux car c’était l’une des plus importantes révolutions du XXe siècle. Après cinquante années d’un système misérable, il y avait beaucoup de dislocations, beaucoup de difficultés d’ajustement, beaucoup d’échecs, une industrie décrépite héritée de l’ère soviétique. Ces changements étaient inévitables et difficiles. Particulièrement pour les gens âgés de 40-50 ans, dont la vie a basculé entre deux époques très différentes. Il fallait avancer prudemment, cela a souvent été hasardeux. Dans certains pays ce fut efficace, dans d’autres il y a eu beaucoup de négligences. Les réformes menées en Pologne ont été considérées comme un relatif succès. Comment l’expliquer? >>> Frédéric Koller | Mercredi 04 Novembre 2009